Lauréat du Prix Jan Michalski de littérature 2024, Environnement toxique est un roman graphique à la croisée des mémoires et du reportage. Il retrace deux années de la vie de l’autrice passées dans les camps ouvriers des gisements pétroliers de l’ouest canadien. Dans l’impossibilité de trouver un emploi suffisamment rémunérateur en lien avec son domaine de formation et dans la nécessité de rembourser sa lourde dette étudiante, Kate Beaton, alors âgée de 21 ans, quitte sa région natale de la Nouvelle-Écosse pour travailler dans les exploitations de sables bitumineux de l’Alberta, à des milliers de kilomètres de chez elle.
Dans cet univers industriel qui emploie cinquante fois plus d’hommes que de femmes, les conditions de vie et de travail sont aussi délétères que l’environnement : camps spartiates, isolement social, cadences épuisantes, problèmes de santé mentale et de toxicomanie, climat hostile, pollution et cynisme systémique tendent à l’extrême les rapports humains, de classe et de genre. Le sexisme particulièrement gangrène le quotidien des quelques travailleuses minoritaires en proie à un harcèlement omniprésent, qui ouvre tragiquement la voie aux violences sexuelles. Se saisissant de ses souvenirs une quinzaine d’années plus tard, Kate Beaton affronte de son trait épuré aux atmosphères noir et blanc les traumatismes vécus et vus au cours de ces huit saisons dans le monde des sables bitumineux sans se départir d’une profonde compassion envers la population de travailleurs et de travailleuses qui l’habite. De vignettes dialoguées en larges tableaux paysagés, elle donne corps à ce monde clos, tenu loin des yeux et des consciences, où se superposent blessures intimes et collectives infligées non seulement aux employé·es mais également à la terre et aux communautés autochtones. D’un regard singulier qui jamais ne juge ni ne condamne, elle rend compte des réalités matérielles d’un capitalisme effréné qui exploite, aliène, marchandise, déshumanise. Sans inciter ni imposer, sa force de témoin consiste à laisser opérer, entre les lignes du récit, un dessillement progressif.
Kate Beaton bouleverse par sa lucidité et sa capacité de discernement des dynamiques sociales dysfonctionnelles qui utilisent la peur et la pauvreté comme moteurs d’une exploitation illusoirement acceptée, tout en érigeant le désastre écologique en toile de fond de son roman graphique. Par son refus tant de la culture du silence que du manichéisme, Environnement toxique porte un coup essentiel à l’omerta suffocante de l’industrie pétrolière et résonne avec les contradictions et les crises les plus vives de notre temps.
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