Cet ouvrage extraordinaire est composé de 20 400 blocs de granit qui reposent simplement les uns sur les autres sans aucune trace de ciment. La plus petite pierre pèse une tonne et la plus grosse 2030 kilos. Des arches au nombre de 66 réparties sur deux niveaux dans un équilibre quasi surnaturel s’élèvent jusqu’à 29 mètres et s’alignent sur une longueur de 728 mètres.
Près de la route de la Granja, l’aqueduc commence sa route au raz du sol puis brusquement s’élève dans le ciel grâce au pilier incurvé, magie de l’architecture, formant un angle de 90 degrés. Sa course survole la vallée et poursuit son chemin jusqu’à l’intérieur des remparts de la cité.
On se demande encore aujourd'hui pourquoi les Romains ont entrepris une telle construction en ce lieu alors que Ségovie n’était qu’un hameau peuplé de 25 habitants. L’arrivée d’eau pour une armée de 30 000 hommes au repos semble l’hypothèse la plus vraisemblable mais sans être prouvée. Etait-ce sous le règne de Trajan ou à la fin du premier siècle sous les Flaviens? Le mystère demeure... sans oublier la légende qui circule. Une jeune fille était fatiguée d’aller chercher de l’eau tous les jours dans la vallée. Elle demanda de l’aide au diable, lui vendant son âme s’il réussissait à construire un point en une nuit. Le pacte fut conclu. Mais, soudainement prise de remords, l’inconsciente adressa une prière à Marie. Les trous dans les pierres révèlent les marques des doigts de Satan au travail. Le matin, il manquait toutefois un élément. Le diable avait perdu et la Vierge se nicha au dessus des trois piliers les plus hauts en 1520.
Ce chef-d’oeuvre de la technique hydraulique romaine réunit les trois qualités de style les plus difficiles à trouver: la simplicité, l’élégance et la grandeur. L’aqueduc fut restauré en 1992 et, depuis cette date, toute circulation automobile est interdite sous ses arches dont les bases tremblaient à chaque passage de véhicule. Il s’agissait ainsi de ne pas voir s’écrouler l’élément ayant permis à Ségovie d’être déclarée «Ville Patrimoine de l’Humanité» par l’UNESCO. Certes, les habitants grognent encore un peu: le détour obligatoire par une sorte de périphérique bordant la colline est d’environ cinq kilomètres. Il n’y a toutefois pas de problème à pied pour le franchir.
Claude-Yves Reymond